Premier bilan de l’offensive allemande

Deux mois après avoir lancé son offensive limitée dans le but de briser le moral de l’armée française et de provoquer une contre-attaque hâtive des Britanniques dans l’Artois ou la Somme, Falkenhayn ne peut que constater le double échec de son plan.

Malgré les gains initiaux enregistrés au cours des premiers jours, force est de constater que face à l’acharnement inattendu de la défense française, l’offensive allemande s’est vite éssoufflée, en particulier en terme de terrain conquis. Une fois la « tempête » des derniers jours de février passée pour les Français, les gains territoriaux se comptent en centaines de mètres maximun et au prix de pertes colossales pour les divisions allemandes qui, rappelons-le, ne bénéficient pas d’un système de relève similaire à celui instauré par Pétain. Les unités se battent jusqu’à l’extrême limite des moyens humains et l’usure morale commence à provoquer, sinon des désertions, en tout cas les premiers cas de refus d’obéissance. La lassitude et la fatalité s’installent.

La supériorité de l’artillerie lourde allemande ne change rien sinon l’augmentation des pertes françaises mais ne s’avère pas décisive pour rompre le front. Pire, les dévastations qu’elle engendre dans le paysage favorise la défense. Le lancement des opérations sur la rive gauche de la Meuse au début du mois de mars ne produit lui aussi aucun effet significatif d’un point de vue stratégique. Tout juste préserve-t-il désormais les troupes allemandes engagées sur la rive droite des tirs de flanquement des forts et ouvrages français. Enfin, si des points importants de la défense française ont été conquis, le point stratégique du Mort-Homme reste entre les mains des Français, tandis que la cote 304 fait l’objet d’attaques et de contre-attaques meurtrières.

Pour les Français, si la résistance héroïque des hommes est indéniable, d’un point de vue stratégique, il n’y a aucune raison valable de continuer à défendre le saillant de Verdun à un prix aussi élevé en vies humaines, d’autant que Joffre n’accepte d’envoyer des renforts en hommes et en artillerie qu’au compte-gouttes. L’usure des poilus a déjà abouti à des défaillances graves comme celle de la 29e DI le 20 mars. Les cas isolés de reddition prématurée commencent à se multiplier, et les hommes s’interrogent de plus en plus sur le bien-fondé de leurs sacrifices.

Pourquoi poursuivre la bataille ?

Face à ce constat, il est donc légitime de se poser une telle question ; question qui vaut pour les deux camps. Comme le souligne Paul Jankowski, les deux états-majors sont en fait piégés par la notion de prestige qu’incarne désormais la bataille de Verdun, le nom même de Verdun. Célébrée tour à tour par la presse et la propagande des deux camps depuis le début des opérations, les gouvernements, pour ne pas perdre la face, ne peuvent ordonner soit côté allemand, une suspension des opérations offensives, soit côté français, un repli stratégique de la RVF.

Falkenhayn, bien que conscient de cette situation, continue de lancer ses troupes dans des assauts locaux pour des gains de territoriaux ridicules mais qui sont mis en exergue par la propagande pour justifier la poursuite de l’opération. C’est une faute d’autant plus grave qu’à la fin avril 1916, les Allemands sont désormais certains de l’imminence d’une offensive sur la Somme, et qu’ils ont besoin de reconstituer des réserves stratégiques pour la contrer. Côté français, chaque mètre de terrain défendu est lui aussi sacralisé pour justifier les pertes colossales. Pire, dans la tête de Joffre, chaque position perdue doit faire l’objet de coûteuses contre-attaques locales sans intérêt. Ce sont d’ailleurs les réticences de Pétain à monter des contre-offensives plus importantes qui lui coûteront bientôt sa place à la tête de la 2e armée.

Jusqu’à la fin décembre, les combats n’auront donc plus d’autre sens que de sacrifier inutilement des hommes de part et d’autre à cette notion de prestige en reprenant ici un mamelon, là un fort éventré ou les ruines fumantes de villages désormais détruits.

SYLVAIN FERREIRA

Sources :

Verdun, Paul Jankowski