Le 24 février au soir, la 72e DI a cessé d’exister en tant qu’unité combattante. Les deux autres divisions du 30e corps engagées dans les combat depuis le 21 sont elles aussi arrivées au bout de leurs forces. Le général Langle de Cary qui commande le Groupe d’Armées du Centre a ordonné l’abandon des positions sur la Woëvre et le repli sur les Hauts de Meuse pour ne pas être débordé sur sa gauche. La situation française est critique.
Heureusement pour le dispositif français, des renforts (la 153e DI renforcée de la 31e brigade, la 37e DI et la 14e DI) sont enfin arrivés et ils viennent prendre la place des unités détruites du 30e corps. Leur montée en ligne s’effectue dans un chaos indescriptible tant la supériorité de l’artillerie allemande est manifeste. Pourtant, les Allemands vont offrir un répit inattendu aux renforts français en stoppant leur avance sur la ligne fixée par l’état-major. Comme nous l’avons évoqué dans notre présentation de la RFV, le fort a été partiellement désarmé par décision de Joffre à l’été 1915. Seul le canon de 155C (court) sous coupole est encore en action et tire depuis le début de la bataille sur des objectifs prévus de longue date. Les mitrailleuses qui protègent l’accès au fossé sont laissées sans servants. De même, il n’y a plus de garnison pour défendre le fort. Il n’est occupé que par 57 artilleurs, en majorité des territoriaux, placés sous le commandement du gardien de batterie, l’adjudant Chenot. Pourtant, le général Chrétien, commandant le 30e corps, a bien ordonné le 24 février que le fort soit réoccupé et défendu à tout prix. Malheureusement, le secteur est passé dans la nuit sous le contrôle du 20e corps et personne n’a transmis cet ordre aux nouveaux arrivants, tous convaincus que des troupes occupent le fort. Les unités françaises ont donc dépassées celui-ci pour prendre position plus au nord. Le 44e RI tient le village de Bezonvaux à 3 km environ au nord-est du fort. Le 2e BCP tient le bois de la Vauche soutenu par un bataillon du 208e RI installé dans le bois d’Hassoule. Deux bataillons du 95e RI (31e brigade) et des éléments des 2e et 3e zouaves tiennent la cote 347 et les approches de la cote 378. Le 3e bataillon du 95e RI tient le village de Douaumont. Enfin, le 418e RI s’est installé au sud-est du fort entre le bois de la Caillette et le ravin de la Fausse-Côte.
L’assaut allemand
Le dispositif allemand dans le secteur s’articule autour des 5. et 6. Infanterie Division. Mais l’attaque principale vers le fort est menée par les Infanterie Regiment Nr. 20 et 24 de la 6. ID. Au matin du 25 février, il fait beau et la visibilité est bonne. De leurs positions, les Allemands aperçoivent les Français en train de s’installer, améliorant leurs positions à coups de pelle et de pioche. Des avions de reconnaissance français survolent les patrouilles de reconnaissance allemandes qui s’infiltrent dans le bois de l’Hermitage. A 9h, la préparation d’artillerie allemande commence, écrasant les positions françaises sous un nouveau déluge d’obus. L’artillerie française réplique comme elle peut. Les fantassins restent ainsi sous le feu jusqu’à 13h. A 15h, toutes les unités progressent sur une ligne qui va du sud-est du bois de Chauffour aux tranchées au sud-ouest du bois d’Hassoule, bousculant les Français sur leur passage. Le 2e BCP est anéanti dans le bois de la Vauche de même que le bataillon du 208e RI qui se trouvait en soutien dans le bois d’Hassoule. Le 1er bataillon du 95e RI est débordé et doit abandonner la cote 347 pour se replier sur le village de Douaumont. L’arrivée du 9e zouaves ne change rien, il est lui aussi anéanti. Il n’y a plus rien devant le front allemand. Pourtant, comme la veille, les unités s’arrêtent sur la ligne prévue par l’état-major. Elles sont à environ 500 m du fort. Le barrage d’artillerie s’abat désormais sur l’impressionnant ouvrage qui domine le secteur. L’assaut du monstre de béton et de pierre n’est prévu que pour le lendemain.
Le coup de main de von Brandis
Malgré l’ordre d’arrêt de l’assaut, et alors que l’artillerie allemande bombarde copieusement le fort, des officiers subalternes de l’Infanterie Regiment Nr. 24 (composé de Brandebourgeois), auxquels on vient d’annoncer avant le début de l’assaut un changement d’assignation de secteur pour le lendemain, décident de passer outre les ordres. Ils estiment qu’ils méritent l’honneur de prendre le fort. Le régiment ayant de toute façon dépassé légèrement la ligne d’arrêt C (bois de Chauffour), ils se trouvent sous le feu de leur propre artillerie malgré les efforts de téléphonistes pour établir une communication avec l’arrière. De même les tirs de fusées vertes pour signaler la présence de troupes amies ne sont pas vus par les observateurs d’artillerie en raison de la fumée et de la poussière soulevées par le bombardement en cours.
Trois officiers allemands mènent l’opération : le capitaine Hans Joachim Haupt, 39 ans, qui commande la 7e compagnie ; le lieutenant de réserve Eugen Radtke, 24 ans, de la 6e compagnie. Ils seront suivis peu après par le lieutenant Cort von Brandis, 27 ans, de la 8e compagnie . Ils atteignent sans rencontrer de résistance la tranchée qui protège le fort. Elle est vide de tout défenseur. Des éléments du 3e bataillon du 95e RI installés dans le village de Douaumont voient les silhouettes des assaillants mais ils les prennent pour des Français et ne tirent pas. Les Allemands décident de poursuivre leur progression jusqu’au fort. Un pionnier (sapeur dans l’armée française), le sergent Kunze, accompagné d’une dizaine d’hommes franchit la grille qui entoure la contrescarpe et descend dans le fossé. Ce petit groupe s’infiltre dans le fort par l’embrasure d’un canon-revolver. Une fois à l’intérieur du fort il fait prisonniers les artilleurs qui servent le canon de 155C et une vingtaine de territoriaux. Radtke et Haupt le rejoignent quelques instants plus tard. Il est environ 16h. Von Brandis mettra presque une heure pour les rejoindre, tandis que les derniers soldats français réfugiés dans l’étage inférieur du fort sont à leur tour capturés. Pour détendre l’atmosphère, le capitaine Haupt distribue des cigarettes aux prisonniers. A 17h30, la prise du fort est confirmée auprès de l’état-major de la 6. ID qui fait suspendre les tirs d’artillerie. Le fleuron de la défense française à Verdun vient de tomber sans combat. Les trois officiers allemands seront décorés de la médaille « Pour le Mérite » (la plus haute distinction militaire allemande) mais seul le nom de von Brandis connaîtra la notoriété. Il faudra près de 20 ans pour découvrir que le fort a été capturé par le sergent Kunze à la tête d’une simple escouade d’une dizaine d’hommes.
« Douaumont ist gefallen ! »
La presse allemande glorifiera ce fait d’armes et les cloches sonneront dans toute l’Allemagne. En France, on passera sous silence les circonstances accablantes de la capture du fort en évoquant un combat mythique et glorieux, sans préciser si le fort est tombé entre les mains de l’ennemi. Il faudra attendre le 24 octobre 1916 pour que les Français reprennent le fort de Douaumont.
SYLVAIN FERREIRA
Sources :
Douaumont, Vérité et légende, Alain Denizot
Fort Douaumont, Christina Holstein (en Anglais)
Mourir à Verdun, Pierre Miquel
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