A 7h15, selon le JMO du 59e Bataillon de Chasseurs à Pied (BCP) de Driant, l’artillerie allemande déclenche un tir de bombardement –Trommelfeuer – d’une violence inouïe sur les premières lignes françaises. On perçoit son écho assourdissant à plus de 100 kilomètres de Verdun. Partout la terre tremble. La plus longue bataille de l’Histoire vient de commencer, elle va durer 300 jours interminables.
A partir de 8h, l’artillerie allemande allonge son tir et commence à prendre pour cible l’ensemble de la Région Fortifiée de Verdun. Les carrefours, les ponts, les PC, rien n’est épargné d’autant que l’aviation française ne peut pas intervenir pour abattre les ballons d’observation et les avions qui règlent le tir des batteries allemandes. Sur les premières et deux lignes au bois des Caures, les obus explosifs s’abattent sur les tranchées et les abris qui disparaissent ensevelissant les hommes. Au 56e BCP, le sous-lieutenant Brouillard et 14 chasseurs connaissent cette fin terrible après un coup au but d’un obus de 305 sur un abri de commandement (R2) où ils avaient trouvé refuge. Le JMO du 56e BCP précise que les positions de repli sont noyées sous un déluge d’obus lacrymogènes, mais pas de gaz asphyxiants. Pour tromper les Français sur le secteur d’attaque principale de l’infanterie allemande, le bombardement s’étend sur les flancs est et ouest du saillant de Verdun, de part et d’autre de la Meuse.
A 8h30, la liaison téléphonique du 56e BCP est coupée. Partout sur le front, tous les téléphonistes qui tentent de rétablir la liaison sont tués sous l’orage d’acier. On envoie alors des coureurs qui subissent presque tous le même sort. A 10h, la liaison optique avec la cote du Poivre est rendue impossible à cause du nuage de poussière et de fumée qui enveloppe le champ de bataille. Les premières lignes ne peuvent plus communiquer avec le PC divisionnaire de la 72e DI installé à Bras. A 12h30, l’artillerie française reçoit l’ordre de contre-battre les positions des batteries ennemies connues tout en économisant ses munitions en vue de l’assaut d’infanterie auquel tout le monde s’attend désormais. A 15h, la ferme de Mormont, PC du colonel Vaulet, en retrait des positions du 59e BCP, est survolée par des avions allemands. Le tir d’artillerie s’intensifie et gagne en précision. Dans le secteur d’Herbois, G. Champeaux, officier de liaison du 164e RI, décrit l’enfer que vivent les combattants français : « Les arbres sont fauchés comme fétus de paille ; de la fumée se dégage de certains obus ; la poussière produite par la terre soulevée forme un brouillard qui nous empêche de voir très loin. Toute la journée, nous courbons l’échine… Nous devons abandonner notre abri et nous terrer dans un large entonnoir ; nous sommes entourés de blessés et de mourants que nous ne pouvons secourir. »
L’infanterie attaque
Alors que le bombardement s’interrompt à 17h, il ne reste plus qu’environ 350 chasseurs capables de se battre sur les 850 que comptait le bataillon le matin à 6h. Les Allemands ont tiré 80 000 obus sur le bois des Caures. Le terrain est bouleversé, plusieurs chasseurs n’ont plus d’armes, ils sont abrutis de fatigue, hébétés. Les tranchées ont disparu laissant place à une succession de cratères fumants. C’est à ce moment que surgissent les fantassins allemands.
Laissons la parole au JMO du 59e BCP pour nous décrire cet assaut : « Le bombardement s’arrête ; les fractions ennemies (NDLA : les Stosstruppen de la 21. Infanterie Division) commençent à apparaître sur la côte 307, se dirigeant vers le bois d’Haumont. Tout d’abord, l’ennemi ne semble pas avoir pris comme objectif le bois des Caures. mais des groupes sont bientôt aperçus se dirigeant, à travers bois, de R5 vers S19. Les membres de ces fractions, habillés de teintes neutres, un brassard blanc au bras, furent pris d’abord pour des brancardiers. L’erreur fut vite reconnue, et une fusillade s’engage. A la suite de ce premier contact, l’ennemi, arrivé par derrière, réussit à occuper, par surprise à la nuit, la tranchée S9, laissant toutefois l’équipe emporter sa pièce de mitrailleuse. De là, l’ennemi s’insinue dans les tranchées 16 et 17 (la mitrailleuse de 17 ayant été primitivement écrasée par l’artillerie ennemie). Au cours de la soirée, l’ennemi réussit à occuper la tranchée 12-12′, et, par le boyau, gagne la tranchée S’7, il s’introduit également dans la tranchée 4. Les commandants des sous-Secteurs I et II, contre-attaquent immédiatement, à la grenade, chassant l’ennemi des tranchées 4, S’7, 12 et 12′. »
En début de soirée, les Allemands sont donc surpris par la résistance inattendue et héroïque des Français. Partout sur le front, les Stosstruppen ont trouvé face à elles des lambeaux de troupes, désorganisées mais combatives, et même capables de contre-attaquer localement. Mais l’infiltration des troupes d’assaut allemandes n’est qu’un début afin de tester le dispositif français et constater l’efficacité du bombardement. L’assaut général est prévu pour le lendemain. Mais ce court répit est utilisé à bon escient par les Français qui injectent partout des renforts. Au bois des Caures, le 2e bataillon du 165e RI vient renforcer les chasseurs de Driant, accompagné de deux compagnies du 56e BCP. La bataille pour le bois des Caures ne fait que commencer.
SYLVAIN FERREIRA
Sources :
JMO du 56e BCP, 26 N 830/1
JMO du 59e BCP, 26 N 832/2
Mourir à Verdun, Pierre Miquel
Verdun, Paul Jankowski
Pyrrhic Victory, Robert Doughty
Verdun 1916, Malcolm Brown
Tranchées, hors-série n°7
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