27 juin 1916 : Adolphe Widloecher, sous-officier allemand né en Alsace, est capturé par les Français

Nous vous présentons aujourd’hui le parcours atypique d’un soldat alsacien né en 1891 et qui commença logiquement la Grande Guerre dans les rangs de l’armée impériale allemande.

Adolphe Widloecher fut de cette génération d’Alsaciens qui changèrent jusqu’à quatre fois de nationalité au cours de leur existence et qui pourtant surent se jouer plutôt habilement des aléas de l’histoire. Il naquit à Still le 12 mai 1891 dans une famille de bûcherons. Ainé de trois frères, il vécut l’enfance des bambins de son temps, rythmée par l’école avec les sœurs et la vie paroissiale, puis apprit le métier de télégraphiste à la Reichspost (poste impériale allemande) avant de partir pour le service militaire en octobre 1911.

Pas de grand voyage en train à travers l’empire pour rejoindre sa garnison, mais un peu de dépaysement tout de même puisqu’il fut affecté à la 2e compagnie du régiment d’infanterie n°126 Grand-Duc Frédéric de Bade (8e du Wurtemberg) – Infanterie-Regiment Nr.126 Großherzog Friedrich von Baden (8.Württembergisches), à Strasbourg. Ce régiment, stationné caserne Sainte-Marguerite, comprenait à la fois des recrues alsaciennes et souabes et fonctionnait davantage à l’heure de Stuttgart qu’à celle de Berlin avec ses fêtes particulières, comme l’anniversaire du roi du Wurtemberg, ou celui de son chef honorifique le Grand-Duc de Bade. C’est donc avec les ‘’Schwowe’’ (sobriquet alsacien pour désigner les Allemands et tout particulièrement les Wurtembergeois) et sous la devise Fürchtlos und trew (sans peur et fidèle, devise inscrite sur les plaques de ceinturon du Wurtemberg à la différence du célèbre Gott mit uns (Dieu est avec nous) des plaques prussiennes) que notre Stillois allait faire ses classes. Il devait être familier du travail avec les chevaux puisqu’il exerça la fonction de tampon (Pferdebursch) en charge des soins du cheval de son capitaine. Son attachement à l’équidé lui valut malheureusement quelques jours d’arrêts car le pain en excédant à la cantine en fin de repas était– réglementairement, destiné aux soldats ayants un creux dans la journée et non aux montures, fussent-elles d’officier… Ayant fait son temps, il regagna ses foyers à la fin du mois de septembre : la quille, zéro au jus ou Reserve hat Ruhe !

Rappelé en tant que réserviste à la mobilisation en août 1914, il partit pour la caserne du château de Saverne (Schlosskaserne) où se trouvait le bataillon de complément (Ersatz-Bataillon) de l’Infanterie-Regiment Nr.99 auquel il fut affecté avec d’autres jeunes réservistes de la basse vallée de la Bruche (Bas-Rhin). Il y reçut son équipement, s’entraîna et participa à la garde des points stratégiques de la ville avant de rejoindre le régiment en campagne avec les premiers renforts. Il venait remplacer un camarade tombé ou blessé à la 7e compagnie et monta en ligne en Lorraine, puis en Champagne et enfin devant Ypres où il fut sévèrement blessé fin novembre 1914.

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‘’Heimatsbrüder vor Ypern 14/15’’ Adolphe Widloecher (assis à droite) et des camarades de la vallée de la Bruche (dont Charles Burger debout à ses côtés à droite) en Belgique à l’automne 1914 (collection de l’auteur)

D’abord évacué vers un hôpital militaire du nord de la France, il fut transféré à l’arrière dans les premiers jours de décembre. A l’hôpital militaire de Geislingen an der Steige (Wurtemberg), les espoirs d’une guérison rapide et d’une permission pour Noel s’évanouirent rapidement. Il regagna finalement le dépôt du régiment à la mi-avril 1915 et y resta un mois en tant que convalescent avant de retourner dans la fournaise des Flandres.

Dans les tranchées il retrouva ses camarades et pays, notamment Charles Burger de Gresswiller, le frère de sa promise Eugénie, qui servait dans la même compagnie en tant que conducteur du train régimentaire. L’année s’acheva sur le front des Flandres avant le départ du régiment pour Verdun. Adolphe Widloecher fut promu au rang de sous-officier (Unteroffizier) et décoré de la croix de fer de deuxième classe à une date non déterminée, entre le printemps 1915 et l’été 1916.

Il participa ensuite à l’attaque du Fort de Vaux qui le marquera pour la vie entière et qu’il évoquera souvent avec ses petits-enfants bien des années plus tard.

Le 27 juin 1916, il fut touché par des shrapnels et sévèrement blessé puis récupéré sur le terrain par les Français après être passé dans leurs lignes où s’en être approché : « […] étant blessé, j’ai passé dans les rangs de l’armée française dans le secteur de Verdun, je ne puis indiquer l’unité à laquelle je me suis présenté » écrirait-t-il plus tard à ce sujet. A ce titre, il fut considéré comme déserteur par les autorités impériales suite à un jugement du tribunal militaire de Gera et finalement amnistié en 1919 par une République de Weimar n’ayant de toute façon plus aucune prise sur lui. Il mettra un an à se remettre de ses blessures dans un hôpital d’Auxerre.

Interné à l’été 1917 au camp des Alsaciens-Lorrains de Saint-Rambert-sur-Loire, il travailla comme cantonnier à Firminy et comme ouvrier agricole dans les fermes de la région de Saint-Etienne, le lot commun de nombreux prisonniers Alsaciens-Lorrains capturés sur le front Ouest qui, après triage et manifestation de francophilie, étaient envoyés dans des camps spéciaux et bénéficiaient d’un traitement de faveur par rapports aux prisonniers issus d’autres états allemands. C’est à cette occasion sans doute qu’il commença à apprendre le français et fut approché par des recruteurs de la Gendarmerie cherchant dans ce vivier de soldats qualifiés – et potentiellement désireux de servir la France, de futures recrues pour la Gendarmerie d’Alsace-Lorraine qui devait être constituée dès le retour à la France effectif. Leurs arguments laissèrent provisoirement de marbre notre Stillois qui songeait avant tout à revoir sa famille et sa promise au pays. Il fut libéré à la fin de la guerre et rentra à Still le 5 janvier 1919, non plus en Feldgrau, mais dans un uniforme français neuf, offert par la République aux Alsaciens-Lorrains libérés.

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Adolphe Widloecher (à droite), gendarme en patrouille dans la vallée de la Moselle, années 1920 (collection de l’auteur)

Passée la joie des retrouvailles, il fut un temps ouvrier puis se décida finalement, à l’été 1919, à s’engager dans la nouvelle Gendarmerie d’Alsace-Lorraine. Il fréquenta l’Ecole de Gendarmerie de Strasbourg où il dut certes améliorer sa maîtrise de la langue française mais où ses connaissances de télégraphiste furent un atout. Contre toute attente, il fut muté à la Gendarmerie de l’Armée du Rhin, à Coblence, en qualité de gendarme à pied. D’assaillant de Verdun coiffé du casque à pointe, le voilà entrant en Allemagne en vainqueur, avec les troupes d’occupation, sous le képi noir et bleu de la Maréchaussée !

A présent en mesure de fonder un foyer, il eut enfin l’autorisation d’épouser Eugénie, qu’il connaissait depuis l’avant-guerre. Les noces furent célébrées le 20 avril 1920 en l’Eglise Saint-Martin de Gresswiller. Cette union dont naîtraient deux enfants fut aussi l’occasion d’une grande fête de famille, puisque son camarade de régiment et désormais beau-frère Charles se marierait le lendemain avec une demoiselle de Plobsheim.

Adolphe resta à l’armée du Rhin jusqu’à sa dissolution en 1930. Stationné dans la vallée de la Moselle (aujourd’hui dans le Land Rhénanie-Palatinat), il fut très actif et obtient les félicitations du Ministre de la Guerre pour sa participation au démantèlement d’un réseau paramilitaire interdit. Il continua ensuite une brillante carrière de sous-officier de Gendarmerie dans différentes brigades de Lorraine ou d’Alsace.

Diplome 60 ans Verdun

Diplôme reçu par Adolphe Widloecher pour le 60e anniversaire de la bataille de Verdun (collection de l’auteur).

En 1939, il commandaitle peloton motocycliste de Wissembourg. La guerre l’amena jusqu’à Nice puis à la brigade de Tarare, en Zone Libre. Sa qualité de militaire de carrière lui permit de rester en France sans subir autant de pressions que les appelés et réservistes alsaciens et mosellans ayant fait la campagne de 1940 pour rentrer en Alsace, désormais allemande de fait. Après moult tractations avec la commission d’Armistice, il put obtenir que sa famille, restée en Alsace, puisse le rejoindre début 1942 – sous réserve de céder tous ses biens au IIIe Reich et de ne jamais revenir en Alsace. Il évita ainsi sa propre incorporation ainsi que celle de son fils dans la Wehrmacht.

Depuis son poste d’adjoint au chef de la brigade de Tarare, il contribua discrètement mais efficacement à la résistance en fournissant des faux-papiers et put enfin retrouver son Alsace natale en 1945. De retour à Wissembourg, il se retira avec le grade d’adjudant-chef en 1946 et s’établit à Gresswiller, dans la maison qu’il avait construite en 1936 et si peu occupé depuis lors. Il travailla de longues années encore comme secrétaire de Mairie et présida la section locale des Anciens Combattants avant de s’éteindre en 1976.

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Médailles d’Adolphe Widloecher (collection de l’auteur)

Sur un coussin mortuaire posé devant son cercueil, sa Croix de Fer et sa Médaille Militaire se faisaient face, selon sa volonté : il avait toujours fait son devoir en conscience, même ballotté parles vents de l’histoire, et mérité l’une… comme l’autre !

Xavier Orthlieb de Société d’Histoire de Mutzig et Environs

Retrouvez cet article et d’autres destins de soldats Alsaciens de la Grande Guerre dans 14-18 Pages d’histoire, édité par la Société d’Histoire de Mutzig et Environs. Contact : ashme@hotmail.fr   /   www.mutzig-histoire.fr

Sources :

Boches ou Tricolores ? Les Alsaciens-Lorrains dans la Grande Guerre, sous la direction de Jean-Noël Grandhomme, La Nuée Bleue, 2008

Cahiers d’un survivant, Dominique Richert, La Nuée Bleue, 1994.

Papiers militaires d’Adolphe Widloecher et témoignages oraux de la famille