Les motivations des combattants

Alors que la bataille de Verdun s’éternise et que les pertes sont effroyables pour les deux camps, il est essentiel d’essayer de comprendre comment et pourquoi les hommes ont-ils accepté sans défaillance de grande ampleur de monter en ligne et de se battre aussi longtemps.

L’ouvrage de Paul Jankowski est très éclairant à ce sujet puisqu’il a eu accès non seulement aux rapports officiels des deux armées qui donnent la mesure des motivations des combattants, mais il a surtout épluché des milliers de lettres ainsi que les rapports de la censure militaire. A la lumière de ses travaux, il apparaît que les sources de motivations ou d’absence de motivation sont d’abord diverses. La première, qui peut nous paraître surprenante, c’est l’effet de la météo sur le moral. La pluie est bien sûr le premier « ennemi » dont parlent les hommes dans leur courrier. Il y a également la température, le froid comme la chaleur caniculaire de la fin du printemps et de l’été. Une mauvaise météo est également synonyme de nourriture froide en première ligne, voire parfois d’absence de nourriture. Le ravitaillement est lui aussi extrêmement important pour le moral. Une troupe peu ou pas approvisionnée se montre toujours récalcitrante pour mener une attaque.

Jankowski montre également que les combattants puisent dans leur loyauté, non pas dans l’attachement idéalisé leur patrie comme on l’a trop souvent lu, mais dans l’attachement à leur groupe, à leurs camarades, vivants ou morts. L’allégeance à la patrie va de soi mais elle est peu évoquée dans les courriers. La fraternité et la camaraderie qui les lient sont tout à la fois le ciment de leur résignation à faire la guerre, mais aussi la source de leur « héroïsme » sous le déluge d’acier et de feu. Ce sentiment varie peu tandis que les premiers cas de sédition ou de désobéissance désorganisée commencent à apparaître sans que les états-majors ne comprennent qu’il n’y a alors rien de politique ou de révolutionnaire dans ces attitudes. Ces postures de défiance à l’égard de la hiérarchie sont liées bien sûr aux terribles conditions des combats, mais aussi à la rancoeur que les hommes manifestent à l’égard des généraux ou des politiques « planqués » à l’arrière. Le sentiment de se faire tuer inutilement augmente à mesure que le carnage se poursuit. Tous les ingrédients de grèves du printemps 1917 sont donc déjà en fermentation dans les deux armées.

L’armée française se ditingue sur un point unique de l’armée impériale, dans l’intégration par les combattants qu’ils ne peuvent pas céder un mètre de terrain aux Allemands. Cette distinction s’opère notamment chez les soldats issus des départements occupés et qui ne peuvent dissocier le sort de leur famille de leur volonté de combattre. Le sentiment de se défendre face à une invasion ennemie est également présent.

En complément des travaux de Jankowski, il faut également souligner ceux de Pierre Miquel dans son « Mourir à Verdun », où il s’intéresse pour l’armée française au paroxysme de violence et de résistances dont font parfois preuve des combattants anonymes dans des moments particulièrement chaotiques. Il évoque de nombreux cas où des simples soldats prennent l’initiative de résister à tout prix alors que tous les cadres sont morts ou blessés, encourageant leurs camarades. Il parle aussi de certains soldats, pères de famille dans le civil, artisans, boutiquiers, qui se laissent, l’espace d’une attaque, totalement submergés par le goût du sang, ne faisant pas de quartier. Il évoque enfin des officiers subalternes dépassés par leurs devoirs et incompétents, sources de colère et de mépris pour leurs hommes.

Pour conclure, j’évoquerai un dernier point, commun dans les rangs des deux armées, l’absence de haine mécanique et permattente de l’adversaire. Si les combats sont acharnés et sans pitié ; le traitement, en général clément et profondément humain réservé aux prisonniers des deux camps, nous éclaire sur l’émergence d’un sentiment d’appartenance à la même cohorte de damnés souffrant, sans raison, au fond d’un enfer créé par d’autres hommes.

SYLVAIN FERREIRA

Sources :

Verdun, Paul Jankowski

Mourir à Verdun, Pierre Miquel