Les Français étaient-ils prêts à Verdun ?

Tout comme le mythe de « la saignée à blanc » côté allemand, l’état de préparation des défenses du secteur et l’anticipation de l’offensive allemande par le commandement français constituent un des sujets d’étude majeur de la bataille. Nous vous proposons de faire le point pour comprendre dans quel état était la Région Fortifiée de Verdun (RFV) sous le commandement du général Herr à la veille de l’attaque allemande.

Le 20 février 1916, il est impossible de croire que Joffre et son état-major doute encore qu’une offensive d’envergure se prépare sur le front occidental. La certitude que les Allemands attaqueront Verdun n’est pas encore acquise mais les indices s’accumulent depuis janvier. Alors pourquoi l’avance initiales allemande a-t-elle été, en apparence, aussi facile ? Les défenses de la RFV étaient-elles en mesure de résister à une offensive limitée mais puissantes de l’armée du Kronprinz ?

L’impossible tâche du général Herr

Depuis la fin août 1915 des travaux d’aménagement et de renforcement des positions françaises sont entrepris sous la houlette du général Herr. Il s’agit notamment d’organiser la défense en profondeur du secteur de la RVF. Malheureusement, les bras manquent pour réaliser l’ensemble des constructions car jusqu’au 15 octobre, les troupes installées, et notamment les territoriaux (6 bataillons) dans le secteur font l’objet de ponction dans le cadre de la préparation de l’offensive de Champagne.  Parallèlement, toujours en vue de l’offensive de Champagne, Joffre ordonne le prélèvement de la quasi-totalité des pièces d’artillerie lourde ainsi que de 128 000 obus de tout calibre. Les travaux ne peuvent donc reprendre qu’à l’Automne. Mais malheureusement, le démantèlement des armes mobiles des forts se poursuit et les casemates de Bourges qui flanquent les principaux forts perdent à leur tour leurs canons de 75. Pire, le général Dubail qui commande le Groupe d’Armée de l’Est décide qu’en cas d’attaque allemande victorieuse les forts devront être dynamités ! Il ne reste plus que certaines pièces d’artillerie des coupoles à éclipse sur certains forts. Pour Joffre, les forts sont réduits à un seul rôle : celui de casemates permettant d’abriter les troupes. En ce qui concerne les troupes directement stationnées sur le front où l’attaque allemande portera ou susceptibles d’intervenir rapidement, le général Herr n’aligne que trois divisions d’infanterie : les 72e, 51e et 14e DI. Seule la 72e DI qui tient le front entre la Meuse et l’est du Bois des Caures supportera l’assaut initial des troupes du Kronprinz.

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Le général Herr, commandant la RFV

Le « coup de gueule » de Driant

Devant cet affaiblissement manifeste du secteur, un homme va alerter le pouvoir politique en profitant de son statut de député de la troisième ciconscription de Nancy : le lieutenant-colonel Driant. Bien qu’atteint par la limite d’âge, Driant a choisi de reprendre du service actif dès le début de la guerre à la tête des 56ème et 59ème Batailllons de Chasseurs à Pied. Stationné aux Bois des Caures au nord de Verdun à l’été 1915, il constate l’insuffisance des défenses françaises et dans une lettre du 22 août 1915 adressée au président de l’Assemblée Nationale il fait part de ses plus vives inquiétudes. Son avertissement reste lettre morte. Le 1er décembre, il informe la Commission de l’Armée qui s’inquiéte de son témoignage. Galliéni, alors ministre de la Guerre s’en ouvre le 16 décembre auprès de Joffre mais celui-ci fait la sourde oreille alors que les indices de la préparation d’une offensive allemande dans le secteur de Verdun commencent à s’accumuler. Il pense toujours que si une attaque doit avoir lieu elle ne sera pas forcément une attaque de grand style, tout au plus une attaque de diversion.

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Le lieutenant-colonel Driant devant son PC au Bois des Caures (2ème en partant de la gauche)

L’inéluctable

A partir de début février, les preuves tangibles que les Allemands vont attaquer Verdun sont sur le bureau de Joffre. Les prisonniers et les déserteurs (le 14 février un déserteur allemand expliquera que l’attaque initialement prévue le 12 février a été reportée à cause du mauvais temps) confirment les appréhensions de Driant et d’autres officiers qui commandent dans le secteur. On apprend même que le Kronprinz a déclaré à ses soldats (Ve Armée) : « Mes amis, il nous faut prendre Verdun. Il faut qu’à la fin de février, tout soit terminé. L’empereur viendra alors passer une grande revue sur la place d’arme de Verdun et la paix sera signée. » A partir du 10 février les travaux défensifs s’accélèrent et les renforts commencent à arriver. Le 21 février, lorsque l’armée allemande attaque, les Français peuvent désormais compter sur 11 divisions dans l’ensemble du secteur de la RFV au lieu de six. Herr reçoit également 10 groupes d’artillerie lourde (85 pièces). Si ces troupes ne sont pas toutes stationnées dans le secteur nord de la rive droite (lieu de l’attaque allemande), elles permettront néanmoins de ralentir suffisamment la progression que les Allemands espéraient effectuer l’arme à la bretelle au prix de lourdes pertes. Malgré l’aveuglement de Joffre, l’offensive initiale des Allemands ne remportera pas le succès escompté mais ce sont les poitrines des soldats français qui serviront de remparts.

SYLVAIN FERREIRA